À travers le desert – entretien avec le futur lauréat du Festival FID

Le réalisateur français Olivier Dury (Mirages) a accompagné un convoi de migrants à travers le Sahara pour rendre tangible le destin des migrants « illégaux ». Cependant il n’assurait pas complètement leur anonymat. À Marseille, j’ai parlé avec le futur lauréat du FID sur ce dilemme moral, sur son rôle d’observateur et le désert en tant que lieu de transition.

publié le 15.10.2008 dans la revue franco-allemande rencontres.de et diffusé par Radio Grenouille 888

Am 7. Juli wird Olivier Dury als Festivalsieger bekannt gegeben, am 5. Juli habe ich mit ihm über seinen Film Mirages (France, 2008, 46′) gesprochen. Intuition féminine!
auch zu finden auf dem Blog des FID Marseille, mit dem sich die Stadt als Europäische Kulturhauptstadt 2013 beworben hat >>

L’air à Marseille scintille ; dans le Vieux Port des centaines de voiliers constituent une ville flottante ; des touristes en short multicolores, des africains en robe boubou et des maghrebins en dschubbe passent en flânant. Des invités festivaliers portent leurs badges d’accréditation comme une décoration et ajustent leurs lunettes de soleil. Dans ce défilé du « voir et être vu » Olivier Dury apparaît pâle et presque taciturne : Fatigué, en jeans et t-shirt, il évite toute remarque plus générale sur les grands sujets évoqués par son film : la migration et la pauvreté. Quand deux jours après l’interview il gagnera le Premier Prix du festival, son regard reflète une surprise authentique.

Monsieur Dury, qu’est ce qui vous a mené d’aborder le sujet de la migration africaine vers l’Europe ?

Pendant un voyage privé au Niger en 1998 j’ai croisé un véhicule de clandestins au milieu de la nuit. J’étais sur le point de m’endormir, on s’est retrouvé côte à côte et on se regardait. C’était une image assez forte. Ils étaient, je pense, aussi étonnés que moi de voir un blanc tout seul là-bas. Cette image ne m’a jamais quitté après ce voyage si bien que j’ai décidé d’en faire un film.

Comment avez-vous trouvé et établi le contact avec les migrants ?

Au total, je suis allé à peu près cinq fois au Niger pour préparer et tourner le film. À l’époque, la situation s’était beaucoup dégradée à Agadez et pour cette raison, les voyages se faisaient de plus en plus secrètement. Ils partaient souvent à la nuit sans que personne ne soit au courant. Les gens qui organisent ces trafics dans les villes d’Agadez ou d’Arlit n’ont aucun envie de publicité. Donc j’ai cherché à les éviter en attendant les véhicules des émigrants au dehors de la ville. C’était possible seulement grâce aux chauffeurs touaregs qui ont accepté que je suive leur véhicule.

Vous utilisez des sous-titres pour donner une idée de leurs conversations qui se déroulent dans plusieurs langues. Est-ce que vous maîtrisez les langues africaines dont ils se servent parfois ?

Non, au moment du tournage je n’ai compris qu’une partie de leurs conversations. Ils s’adressaient à moi en français ; mais entre eux, les émigrants se parlent dans des mélanges improbables de français, d’anglais, de haussa et d’autres langues indigènes. Ils se regroupent selon les pays d’ou ils viennent ; j’ai même assisté à des bagarres entre les francophones et les anglophones. Toutefois, vu les conditions de leur voyage, ce n’est pas étonnant : il n’est quand même pas évident de se lier d’amitié avec celui qui est sur vos pieds. Pour donner une idée de leurs conversations au spectateur, j’ai consulté un traducteur africain après, à Paris.

Vous filmez parfois à partir du bac du camion, on voit l’étroitesse et les mauvaises pistes. En plus les nuits dans le désert sont froides et il y a des tempêtes de sable. Comment un tournage se passe-t-il dans de quelles conditions ?

Cela peut en effet être un peu difficile. Pendant la tempête de sable, je n’ai pas vraiment sorti la caméra de la voiture pour ne pas prendre de risque. Pendant la nuit, quand les températures peuvent descendre à moins cinq degrés, j’avais un peu froid. Mais j’étais beaucoup mieux logi que les « gens qui voyagent », parce que contrairement à eux j’avais un sac de couchage. Souvent eux, ils ont une couverture, parfois, ils n’ont absolument rien.

Votre voyage filmique s’arrête à la frontière libyenne. Pourquoi est-ce que vous n’avez pas accompagné les émigrants plus loin encore ?

Je me suis dit que le voyage entier risquait d’être très compliqué. Il aurait fallu une autorisation pour tourner en Algérie, si je n’y voulais pas entrer clandestinement, moi aussi. En plus, toute cette partie se traversait de nuit et les véhicules roulent sans phares, là je ne voyais pas ce que je pourrais filmer. Mais le fait que je m’arrête un peu avant ne change pas nécessairement grand chose à mon histoire.

Votre caméra s’accroche beaucoup aux migrants ; ils vous sourient et vous parlent parfois en français. Comment était votre relation avec les migrants ? D’où venait cette confiance qu’on pense voir dans le film ?

C’est difficile de parler de « la » relation en général parce qu’il y a une grande quantité d’individus sur les voitures : Ainsi ça pouvait se passer dès le départ avec quelques gens et avec d’autres pas du tout. Au départ, j’ai passé beaucoup de temps pour leur expliquer ce que je voulais faire, parce que c’est toujours un peu bizarre de voir un petit blanc avec sa caméra. Je ne crois pourtant pas qu’il soit possible d’instaurer une véritable relation dans un temps si court avec autant de personnes. Il s’agissait plus d’un respect mutuel. Par contre vers la fin du tournage un événement imprévu a amelioré notre relation : Un gars avait très mal au ventre, parce que les migrants s’alimentent très mal, et je l’ai un petit peu aidé. D’un coup tout le monde me trouvait sans doute beaucoup plus sympathique qu’avant. Malheureusement c’était juste quand le tournage était fini.

En quoi la présence de la caméra influence l’atmosphère d’un tel voyage?

J’étais aussi inquiet, la première fois, d’arriver, comme ça, avec ma caméra. A ma grande surprise, sa présence a plutôt facilité le contact : A part certains qui ne voulaient pas du tout que je les filme, il y en avait beaucoup qui venaient me voir eux-mêmes spontanément pour me raconter leur histoire. Ils étaient, je pense, contents qu’on s’intéresse à eux.

Des sirènes de police entrecoupent sans cesse l’entretien. Pendant que Mirages et Bab Sebta passent par les écrans des théâtres festivaliers, la dernière scène du « voyage sans point d’arrivée », que ces films évoquent, se joue au port en bas: Des officiers en uniforme emploient le « karcher » de Sarkozy en contrôlant sans cesse les cartes d’identité de quelques passants à l’air maghrébin ou africain. Leurs visages ressemblent à ceux qui passent sur les écrans du festival. Ici, comme aux autres villes au bord de la Méditerranée, le « mirage » d’Europe prend pour eux la forme d’une forteresse.

Monsieur Dury, on distingue bien les visages des migrants dans votre film et quelques-uns montrent même leur adresse email. Leur comportement face à la caméra me surprend ; on aurait pu croire qu’ils ont peur d’être reconnu quand ils se dirigent vers l’Europe, vers une vie de clandestinité.

À mon avis, ils ont des inquiétudes beaucoup plus importantes que cela. Au début du voyage, ils ne sont pas clandestins et ils ne savent même pas encore ce que cela signifie vraiment. Ils sont arrivés à Agadez par des moyens de transports normaux. Ils achètent un ticket avec un point de départ mais sans arrivée. La traversée du désert est la première étape vraiment difficile, l’étape dans lequel chaqu’un a un pressentiment de ce que signifiera pour lui une vie de clandestin. Il n’y avait que quelques-uns qui en savent tellement plus : J’y ai rencontré un Ghanéen qui retraversait le désert pour la troisième fois. Il était déjà arrivé en France – et avait été refoulé. Cela faisait trois ans et demi qu’il était parti de chez lui.

Mais est-ce que vous en tant que réalisateur ne les avez pas prévenu ?

J’essayai de leur expliquer que je veux montrer ce film au public. S’il passe dans les cinémas à leur arrivée en Italie ou en France, certains se diront peut-être: Je vais masquer mon visage pour qu’on ne me reconnaisse pas. Mais je vois mal notre cher gouvernement regarder mon film pour essayer de prendre des portraits des gens.

Vous avez une idée de la vie au Niger ainsi que les fatigues du voyage migratoire. Pourquoi selon vous ces hommes essaient-ils de partir vers l’Europe ?

Parce que leur vie pour des raisons différentes est insupportable, intenable, impossible. Parce qu’il faut manger quand même. Ils ont tout d’autres problèmes que nous, que la couleur de la nouvelle voiture, etc. La migration continuera tant que ces gens n’auront rien.

Olivier Dury est né à Paris en 1967. Diplomé de la Vancouver Film School au Canada, il a exercé différents métiers dans le cinéma et travaille aujourd’hui comme opérateur et réalisateur.

Photos: 1: O. Dury, 2,3: “Mirages”